BACKLASH LYON : PLUS DE DIX ANS APRèS LA GéNéRATION NT1, COMMENT LE CATCH CONNAîT UN REGAIN D’INTéRêT EN FRANCE ?
Ce week-end à Lyon, la plus grande compagnie américaine de catch, la WWE, organise deux shows exceptionnels. Une idée encore impensable il y a quelques années, mais qui illustre bien le renouveau de la discipline en France
L’avantage d’avoir des combats scriptés d'avance au catch, c’est qu’il peut absolument tout se passer. Après deux décennies et demie à commenter la discipline, Christophe Agius, l’une des voix françaises les plus célèbres du milieu, en a vu des choses. Des combats avec des démons, des morts vivants, un catcheur enterré vivant, une scène de sexe en plein milieu du ring, et on en passe. Difficile d’être surpris après tout ça, et pourtant. Et pourtant, en ce premier week-end de mai, la Word Wrestling Entertainment – WWE de son petit nom, et la compagnie numéro 1 du marché – s’installe à Lyon pour un des plus gros shows de l’année. 16.000 personnes attendues à la LDLC Arena, excusez du peu. Et ça, « c’était totalement impensable pour moi. Même il y a encore deux ans, tu m’aurais dit que ça pouvait arriver, je n’y aurais pas cru », s’enthousiasme le commentateur, prêt à vivre son France-Brésil 98 à lui.
Si l’événement sonne tout d’un miracle, il ne doit cependant rien au hasard. La WWE a toujours souhaité capitaliser à l’international, et a bien constaté un regain d’intérêt de la France pour son produit. Christophe Agius abandonne un instant ses classiques boutades pour les comptes d’apothicaire : « Les audiences francophones sont très satisfaisantes en ce moment et continuent à augmenter. A l’international, la WWE ne cesse de présenter des chiffres records, que ce soit en termes de revenus ou d’audience ». Sur les réseaux sociaux français, le catch est souvent en top tendance, tandis que toute une génération de vidéastes traite du sujet sur Youtube ou Twitch.
« Les histoires racontées sont bien meilleures »
« Le catch vit un âge d’or en France », abonde l’un d’eux, MrOkkin, Youtubeur aux 90.000 abonnés. Ce genre de contenu explique, en partie, le renouveau. Fini l’époque où il fallait attendre le vendredi soir à 22 heures pour regarder son épisode de catch sur NT1, et encore, deux semaines après sa diffusion US. Aujourd’hui, « le catch est très simple à suivre sur internet, que ce soit sur twitter, Youtube, stream… Vous pouvez accéder à n’importe quel extrait et n’importe quel show, parfois traduit dès le lendemain », en plus d’une diffusion plus officielle sur AB1.
Pouvoir tout voir, c’est formidable, autant faut-il en avoir envie. Et ça tombe bien, car à en croire la plupart des suiveurs, les shows n’ont jamais été aussi bons. « Les histoires présentées sont bien meilleures que par le passé, les personnages beaucoup plus approfondis et complexes, et les intrigues plus poussées », vante Christophe Agius. Lors de la précédente golden era du catch en France, sa diffusion sur NT1 entre 2007 et 2014, « le succès venait du fait que ce soit nouveau en France et spectaculaire, mais les histoires racontées étaient beaucoup moins fortes », reconnaît le commentateur.
Comme un air de Game of Thrones
« Aujourd’hui, l’emphase est beaucoup plus mise sur les histoires et les dialogues que sur les combats », note Sturry, catcheur français et vidéaste de la chaîne « C’est ça le catch » aux 95.000 abonnés. « Il y a eu un changement drastique au niveau des têtes créatives, une concurrence accrue qui pousse à se dépasser, et la WWE a dépassé le clivage de la rivalité le gentil contre le méchant. Les intrigues ressemblent plus à du Game of Thrones, avec des protagonistes ambiguës et sans qu’un camp ne semble forcément meilleur que l’autre ».
Loin du super-héros tout fade et unidimensionnel John Cena, précédente grande star, le personnage principal actuel, Roman Reigns, champion du monde pendant plus de trois ans et numéro 1 de la compagnie depuis 2020, est un chef tribal impitoyable qui maltraite sa famille autant qu’il l’aime, à l’ego boursouflé et sacrément paranoïaque depuis la trahison de son meilleur ami il y a dix piges.
Du Netflix plus que du MMA
« On vit l’âge d’or des séries dans la pop culture, et le catch se consomme comme du Netflix, plus que comme du MMA ou de la boxe », abonde MrOkkin. Ce qui permet d’ailleurs de casser l’une des remarques les plus relous à entendre pour tout fan de catch. Oui, on le sait que les combats sont fakes et scénarisés, merci (on le répète, il y a des morts vivants qui se battent, on avait compris que c’était fake). « Mais plus la WWE met l’accent sur le côté série, moins cette remarque n’a de sens », souscrit le Youtubeur.
Son comparse Sturry trouve également qu’il n’a jamais été aussi simple de s’assumer fan de catch. « Ca reste bien entendu un divertissement de niche, mais on est dans une société de la geek-culture, où beaucoup de cultures dominantes, comme les jeux vidéos ou les mangas, étaient critiqués il y a quelques années, donc il y a plus d’ouverture, de curiosités, pour les passions de chacun ».
Du meme et du tweet
Puisqu’on en est à la geek-culture, le nom de Roman Reigns évoqué plus haut ne vous dit peut-être rien, mais vous avez sûrement déjà croiser sa tête caractéristique dans un gif sur Twitter ou Instagram. « Aujourd’hui, Roman Reigns est un meme. Les expressions faciales des catcheurs sont forcément très exagérés, pour accentuer les émotions mais aussi pour être visible de la part des spectateurs les plus loin de l’arène. Ce qui en fait forcément de très bon gifs », schématise Christophe Agius.
« Au moindre match de football ou de basket, les fans vont utiliser des memes pour commenter les réactions, poursuit le commentateur, et Roman Reigns, le RKO de Randy Orton ou autres reviennent souvent. A force, cela donne de la curiosité pour le produit. »
Une belle démonstration de l’implacable soft-power américain, poursuit MrOkkin : « Les Etats-Unis arrivent toujours plus à importer leur divertissement à l’international, comme la NBA ou le catch. Aujourd’hui, le fan français de basket va utiliser des memes de Roman Reigns pour commenter un dunk, dans un mélange de divertissement qui poussent les deux. » Tout comme la présence de Dwayne « The Rock » Johnson, au cinéma comme sur les rings de catch. Pas certain que ce dernier fasse le déplacement à Lyon, mais qu’importe, après avoir vu ça, Christophe Agius et les fans de catch français pourront mourir tranquille. Bon, le plus tard possible quand même.