ACCUSATION DE TRANSPHOBIE : COMMENT JCDECAUX A CéDé SOUS LA PRESSION

Un petit tour et puis s’en va. D'abord validée par l'entreprise JCDecaux, la campagne d’affichage pour la parution de l’ouvrage Transmania, signé par les militantes Dora Moutot et Marguerite Stern, a finalement été annulée par l'entreprise ce 17 avril 2024.

Les publicités en question mettaient en scène cet ouvrage présenté comme une « enquête sur les dérives de l’idéologie transgenre » avec pour description : « Quand l’idéologie transgenre s’infiltre dans toutes les sphères de la société… ou l’histoire de l’un des plus gros casses conceptuels du siècle. »

Interpellé sur X (ex-Twitter), le premier adjoint à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire s'était précipité sur ce début de polémique pour afficher l’engagement progressiste de la mairie de Paris sur le sujet. « La transphobie est un délit. La haine de l'autre n'a pas sa place dans notre ville. Paris n'est pas la vitrine de cette haine crasse », a écrit l’élu avant d’annoncer qu’il allait demander le retrait de cette publicité à l’opérateur JCDecaux, responsable de cette campagne de pub.

Dans la lettre envoyée au patron du groupe Jean-Charles Decaux et transmise à l’AFP, Emmanuel Grégoire affirme que les autrices de l’ouvrage « connues pour leurs déboires transphobes », propagent « une nouvelle fois leur discours de haine. »

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Il n’en a pas fallu plus pour que le groupe fasse machine arrière dans l’urgence devant les critiques. « Si JCDecaux est par conviction attaché à la liberté d’expression, nous avons procédé au retrait des affiches Transmania sur les mobiliers concernés du fait des propos véhiculés sur le visuel sur lequel la Ville de Paris nous a par ailleurs interpellés. Il est également contraire à notre Charte de la déontologie de la communication extérieure », a communiqué le groupe avant de présenter ses excuses « aux personnes que ces affiches ont pu heurter. »

Les deux autrices qui font l’objet de plusieurs plaintes et sont décriées par une large frange des mouvements féministes ces dernières années pour leurs prises de position sur la transidentité, ont dénoncé une nouvelle forme de censure.

Une maison d'édition proche des nationalistes

Cette annonce de retrait sous la pression politique pose de réelles questions sur la liberté d’expression et la possibilité pour un ouvrage, de facto autorisé à être publié, à obtenir une campagne publicitaire classique. La maison d’édition Magnus, qui publie des auteurs proches de l'extrême droite ou y appartenant, comme le dessinateur Marsault, l’ex-cadre de Reconquête Dénis Cieslik ou le vidéaste Papacito, a indiqué dans un communiqué ne pas avoir été prévenue par JCDecaux, et a annoncé qu’elle « n’en resterait pas là ».

« Nous avions proposé ces affiches qui ont été normalement validées par un comité d’éthique, ils n’avaient pas demandé de modifications et tout a été parfaitement validé en interne pour toutes les affiches », déplore la cofondatrice de Magnus, Laura Magné, auprès de Marianne, dont la campagne publicitaire prévue initialement à Paris, Lyon, Bordeaux et Toulouse a été annulée.

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L’éditrice affirme également avoir discuté avec l’opérateur en amont de la préparation de cette campagne du très conservateur magazine L’Incorrect, dont JCDecaux avait réalisé en 2023 la promotion d’une Une consacrée à la transidentité qui avait pour titre : « Trans : les enfants cobayes, enquête sur les martyrs d’une idéologie ». Si la campagne en question avait à l’époque suscité des critiques sur les réseaux sociaux, elle n’avait toutefois pas fait l’objet d’une annulation.

« J’ai expliqué la démarche du livre à JCDecaux, mais le contenu du livre en lui-même ne les intéresse pas, ce qui est important pour eux c’est le visuel. Le livre Transmania traite du même sujet que L'Incorrect, pourtant la campagne n’avait pas été interrompue malgré des pressions similaires, JCDecaux l’a faite en connaissance de cause », précise Laura Magné.

Des cas précédents, provoqués par la droite

Ce n’est pourtant pas la première fois que l’entreprise accepte de retirer une campagne de publicité après des coups de pression politiques. Par le passé, ces demandes provenaient toutefois davantage d’élus de la droite conservatrice. En 2014, au Pecq dans les Yvelines, le maire UMP avait obtenu le retrait d’une publicité d’un joaillier montrant deux femmes sur le point de s’embrasser. En 2016 un certain Christophe Béchu, actuel ministre de la Transition écologique et à l’époque maire Les Républicains d’Angers, avait fait retirer des affiches de prévention contre le VIH.

Contacté afin de connaître les points de la charte auxquels le visuel des affiches de Transmania contrevenait – alors même qu’il avait été validé en amont – JCDecaux n’a pas souhaité apporter de précisions.

En réalité, selon le directeur général de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), JCDecaux avait peu de marges de manœuvre après la demande de la mairie. « Les opérateurs signent des contrats de concession avec les mairies. La mairie de Paris a donc pris une décision avec une portée politique qui a une légitimité contractuelle car ces panneaux sont affichés dans l’espace public », explique ainsi Stéphane Martin. La mairie étant propriétaire de la parcelle sur laquelle est installé le panneau publicitaire, elle dispose de facto d’un droit de regard sur le contenu des messages.

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« Oui, la transphobie n’est pas une opinion, mais je ne vois pas d’éléments ici qui pourraient être retenus par les juges, c’est la couverture du livre qui a été présentée dans le visuel, souligne toutefois le directeur général de l'ARPP, Stéphane Martin. Certes cela peut heurter des convictions, mais l’ouvrage a été autorisé. C’est pour cela qu’au-delà de ce cas, il y a un vrai débat à avoir sur l’œuvre en elle-même. Est-ce que des œuvres qui dérangent peuvent encore exister en librairie, et si oui, peuvent-elles le faire savoir ? Dans une société de plus en plus polarisée sous l’effet des bulles numériques, la question se pose. » En attendant, le livre Transmania profite de la polémique en se hissant à la première place des ventes Amazon. Et la maison d'édition vient d'ajouter dans sa communication visuelle le bandeau très vendeur « Le livre scandale ».

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