Nous sommes en 1979 lorsque Starmania se dévoile pour la première fois devant le public français. Opéra rock signé Michel Berger et Luc Plamondon, le projet est un pari osé. Tout le monde sait que les Français ne sont guère friands de comédies musicales, et ce, malgré le très joli succès des films de Jacques Demy, sortis un peu plus de dix ans plus tôt (Les Parapluies de Cherbourg ou Les Demoiselles de Rochefort, pour ne citer qu’eux). Pourtant, Starmania devient avec le temps un phénomène culturel incontournable, repris et réinterprété régulièrement depuis sa première représentation, qui mettait en scène, entre autres, France Gall et Daniel Balavoine.
Dans son ultime interprétation, Starmania invoque certains des talents les plus bruts que la scène musicale française a à offrir. C’est par exemple Victor Le Masne à la direction musicale, dont le nom est inconnu du grand public mais qui se cache derrière la direction musicale des tournées les plus impressionnantes de ces derniers temps (à titre d’exemple, Brûler le feu de la chanteuse Juliette Armanet). Mais c’est aussi la superstar du théâtre Thomas Jolly à qui l’on doit la mise en scène sombre et résolument moderne de ce nouvel opus. Sur scène, c'est une myriade de personnalités recrutées sur Internet ou via des télé-crochets qui incarne les personnages cultes, de Johnny Rockfort à Marie Jeanne. Pour certains – la plupart, à vrai dire, il s’agit de leurs premiers grands rôles. Les costumes sont quant à eux signés Nicolas Ghesquière, qui vient tout juste de renouveler son contrat avec la maison Louis Vuitton pour cinq années supplémentaires. Récompensée par deux Molières cette année, que vaut réellement cette nouvelle interprétation de Starmania, alors qu’elle vient de faire son grand retour à la Seine Musicale ?
Au cœur des années 70, le chanteur et compositeur Michel Berger s’ennuie. Il arrête de chanter, poussé par l’envie de “faire autre chose”. Son entourage a beau lui répéter que la comédie musicale ne fonctionne pas en France, ce n’est qu’une pierre de plus portée à l’édifice de son ambition. Cette ambition voit le jour en 1969, alors qu’il découvre Hair au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, cette comédie musicale américaine qui narre l’histoire d'une bande de hippies vivant en communauté à New York. Propulsé par l’envie de ne jamais se répéter, il contacte pour la première fois le Québécois Luc Plamondon en 1976 pour nourrir ses compositions de paroles épiques et solides. Berger le repère grâce à un opéra rock que Plamondon avait alors écrit pour la chanteuse Diane Dufresne. Il perçoit dans son écriture une violence et une plume acerbe qui apporterait l’ampleur désirée à son ouvrage.
À deux, Michel Berger et Luc Plamondon parviennent à créer une œuvre inédite. “Le blues du businessman”, “La complainte de la serveuse automate” ou encore “Quand on arrive en ville” voient le jour en l’espace de quelques mois. Mais c’est sans doute “Le monde est stone” qui représente le mieux la collaboration entre les deux musiciens, nourrie de l’ancrage américain de Plamondon. C’est à ce titre une histoire américaine qui inspire Starmania : celle de Patricia Hearst, fille d’un magnat de la presse, enlevée en 1974 par un groupe terroriste d'extrême gauche. Gagnée par le syndrome de Stockholm (défini comme l’attachement des otages avec leurs geôliers), elle finit par rejoindre les actions du groupe.
Lorsque vient l’heure du casting, c’est le chanteur Daniel Balavoine qui récupère le premier rôle – celui du voyou Johnny Rockfort – rencontre artistique capitale dans la vie de Michel Berger. Ainsi, “S.O.S d’un terrien en détresse”, point d’orgue émotionnel de Starmania, a été composé par Berger uniquement pour Balavoine et sa voix majestueuse. Ce dernier fait ainsi face à France Gall, chanteuse et épouse de Michel Berger, qui reste encore aujourd’hui l’interprète inoubliable de Cristal, animatrice bien née qui tombe sous le charme du terroriste (et intégrée au récit seulement quelques jours avant le début du spectacle).
Au fil des décennies, Starmania a connu de nombreuses interprétations par divers metteurs en scène – certaines plus heureuses que d’autres. En 1989, les musiciens de Michel Berger décident d’utiliser de nouvelles technologies pour faire vivre à nouveau le spectacle sur scène, avec des ordinateurs qui jouent les séquences seuls sur scène – une technique devenue banale depuis, mais inédite pour l’époque, et terriblement capricieuse (les problèmes techniques sont nombreux). C’est pourtant à ce moment que Starmania devient un vrai succès populaire, qu’il était loin d’être en 1979 – la salle du Palais des Congrès peinait alors à se remplir à chaque nouvelle représentation. C’est le temps qui fait de l’opéra rock une œuvre culturelle incontournable.
Pour son retour en novembre 2022, c’est Raphaël Hamburger, fils de Michel Berger et France Gall, qui est à l’initiative du nouveau projet. Il fait appel au metteur en scène Thomas Jolly, au créateur de mode Nicolas Ghesquière ainsi qu’au compositeur et directeur musical Victor Le Masne. Autant dire que le casting est dès ses premiers noms, extrêmement élégant. Nom réputé du théâtre contemporain, Thomas Jolly apporte ainsi sa patte ténébreuse, presque gothique, aux accents cartoonesques. En contrepoint de son imagerie emplie de noirceur, ce sont les lumières qui magnifient la scène et les chorégraphies comme rarement (à l’instar du tableau du “Blues du business”, construite entre tension et relâchement). Thomas Jolly apparente ces lumières omniprésentes à des cages, dans lesquels les personnages se débattent, tout en demeurant irrémédiablement attirés par les sirènes de la gloire et de la célébrité. Et le succès est au rendez-vous : sur la saison 2022/2023, le spectacle attire 700 000 spectateurs, en plus de remporter deux Molières.
(Re)voir Starmania en 2023 a quelque chose d’étonnant, tant le récit écrit dans les années 70 demeure atrocement contemporain, du milliardaire qui souhaite engager une carrière en politique par pure mégalomanie à une urbanisation grandissante et vorace, faisant fi des revendications écologiques. Revendications écologiques portées par le personnage du Gourou Marabout, opposant politique du magnat de l’immobilier Zéro Janvier. Offerte par le Québécois David Latulippe, l'interprétation de Zéro Janvier est peut-être l’une des plus brillantes de cette nouvelle version de Starmania, si éclatante qu’elle parvient à faire naître de la sympathique pour un tyran aux méthodes abjectes. Autre coup de cœur de la distribution : Alex Montembault dans le rôle de Marie Jeanne, personnage le plus humain de la comédie musicale. On ne peut que saluer la décision de faire pleinement confiance à des talents bruts (français comme québécois) dont l'expérience est encore toute à faire. C'est sans doute là l'une des grandes réussites de cette nouvelle version de Starmania.
Starmania est de retour à la Seine Musicale jusqu’en janvier 2024, avant d’entamer une nouvelle tournée entre la Belgique, la Suisse et même le Canada au mois août. Les billets sont disponibles en ligne.
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